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À propos d'une création pour le service de médecine palliative du CHU de Rouen,

par Elizabeth Erkel Deleris.

 

"...la première chose qu'onoublie à propos du malade,c'est souvent qu'il est simplement malheureux."

 

Claire Marin *1

 

 

L'art a toujours été là, depuis la nuit des temps, pour sacraliser le quotidien, l'ouvrir à d'autres états de conscience.Il trouve à l'hôpital et, en particulier ici, dans ce service de soins palliatifs, sa légitimité plus que partout ailleurs : son sens absolu.Avoir à intervenir dans un lieu aussi sensible a été un véritable défi. Il n'est pas évident en tant qu'artiste de se positionner dans l'institution hospitalière. Ce fut pour moi une occasion inespérée de pouvoir faire le lien entre ma démarche artistique et mon cheminement intérieur.

Après quelque temps passé dans le service afin de comprendre les besoins et les souhaits des patients et de l'équipe soignante, les mots qui ont guidé ma recherche se sont imposés :Vie, mouvement, lumière, harmonie.

Le périple a été long, et véritable le travail d'équipe, chacun découvrant l'univers de l'autre.Nous nous sommes avancés en contournant les embûches, pas à pas, tel un explorateur pour se frayer des passages, défricher un territoire encore inconnu.J'étais loin de la liberté de création à laquelle je suis habituée.C'était un peu comme ci tout à coup mon travail devait s'incarner : les contraintes me ramenaient sans cesse à une réalité dans laquelle je devais justifier ma place.Tout passage est difficile, mais enrichissant.Ce fut l'un , et ce fut l'autre."Haïku de papier"

L"Haïku" est un souffle poétique, une forme concise qui touche au plus intime.Il a été le porteur de toute mon émotion pendant ce cheminement.

Une porte voutée, en acier sablé découpé, accueille le visiteur.Le motif inspiré des moucharabiehs, évoquent la séparation entre le public et l'intime, le profane et le sacré.Pour ceux du dedans, c'est un regard sur le monde actif.Pour ceux du dehors, c'est la plongée dans le secret.

En franchissant ce seuil nous pénétrons dans un univers autre.Ici l'humain que nous sommes, n'est plus seulement pris en charge dans ce qu'il a de mesurable, mais dans sa totalité, dans une approche tridimensionnelle : objective, subjective et « civique » comme le décrivaient les penseurs grecs et Platon en particulier .*2Franchir cette porte c'est accepter de devenir l'initié.

Dès l'entrée, une énergie qui se veut à la fois lumineuse, chaleureuse et apaisante accompagne le patient et le visiteur.Le dégradé des murs, les portes aux couleurs pastel, et les "jardins oniriques", une suite de sept tableaux lumineux, univers ludique qui se lit comme des notes de gaîté et de vie, animent le couloir qui mène aux chambres.

Chaque chambre a été traitée individuellement.Tout ici doit être fait pour le bien-être du patient.Nous y trouvons un cocon constellé de cristaux et "La terre est un ange", un tableau de papier découpé.Comment, dans les chambres, apporter du rêve à ces patients qui souvent restent allongés, le regard dirigé vers le haut ?Je cherchais quelque chose de mouvant, de léger :Ces cocons suspendus flottent dispersant leurs éclats de lumière, et leurs ombres portées sur les murs.Le cocon, comme la chrysalide, sont symboles de métamorphose.Mais seront-ils vus comme des cocons ? Peut être comme des cages ouvertes vers la liberté d'un envol, comme des nids douillets, ou des poissons... ou bien... à chacun d'y mettre son imaginaire, d'y trouver son rêve.Les tableaux, ont été réalisés sans projet particulier, avant même que l'on me propose ce travail.Le titre : "La terre est un ange" m'est venu grâce à Henri Corbin qui raconte l'histoire de Gustave Théodore Fechner, philosophe allemand. Celui-ci au cours d'une matinée de printemps, "alors qu'une lumière de transfiguration nimbait la terre, fut saisi non pas simplement par l'idée esthétique, mais par la vision et l'évidence concrète que la terre est un ange et un ange si somptueux et réel si semblable à une fleur". Et Henri Corbin d'ajouter "Il faut que la terre soit perçue non point par les sens, mais par une image primordiale, un univers de formes imaginales, comme autant de présences personnelles, un miroir de son être en devenir".*3C'est de là qu'est née cette recherche de papiers découpés.Sans le savoir je pense que je travaillais déjà pour ce lieu.

Jouir jusqu'au bout de la beauté de la vie et du monde dans un endroit paisible, chaleureux et attentionné, n'est-ce pas ce que nous souhaitons tous ?Dans les cultures traditionnelles la mort n'est pas opposée à la vie, mais à la naissance. Naissance et mort ponctuent notre vie.Les grecs appelaient les humains "mortels", par opposition aux dieux.C'est de cette idée que s'origine la philosophie européenne.Dans une perspective beaucoup plus optimiste le philosophe allemand Peter Sloterdijk propose de mettre l'accent sur l'autre pôle de l'existence : la naissance."... naître, c'est affronter un comité d'accueil - et la première pré-idée du nouveau-né est : ici, il y a un monde. Les gens d'abord, les choses ensuite... Les hommes du XXIème siècle ne seront plus mortels mais naissants, des êtres natals...une humanité dont les ressortissants expriment la volonté de venir au monde jusqu'au bout."*4Voilà une belle perspective : venir au monde jusqu'au bout.

 

 

Elizabeth Erkel Deleris

 

 

1-Claire Marin, "Who cares", L'attention au malade dans la relation thérapeutique, La philosophie du soin, PUF, 2010, p.127.2-Fréderic Worms, " Vers un moment du soin ? Entre diversité et unité ", La philosophie du soin, PUF, 2010, p.11.3-Henri Corbin, Corps spirituel et Terre céleste, Buchet Chastel, 1979, p.31.4-Peter Sloterdijk, " Le XXème siècle sera acrobatique", Clés, décembre 2010, p.54.

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