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À propos d'une création pour le service de médecine palliative du CHU de Rouen en 2011.

 

Texte poétique de Danièle Dunogent pour

"Haïku de papier". 2011.

 

 

Le sens ne se révèle que si nous le vivons, que si notre corps se souvient. C’est pourquoi nous pouvons dire : "La terre est un ange, je l’ai rencontré dans la Vallone". Cette dernière est un jardin encore un peu secret, accroché à la falaise qui penche doucement vers la mer.La rêverie est la plus sure des expériences dit-on : C’est ce que j’ai voulu vérifier .Un matin de Mai, Elizabeth Delèris, la maitresse des lieux, m’a grand ouvert ses bras de roseaux en écartant les pétasits qui déjà m’agrippaient aux cheveux; j’avais oublié qu’il fallait se baisser très bas pour passer la porte ; il est vigilant l’ange à l’épée ! Les yeux d’Elizabeth se firent petits et pétillants, c’est sa façon Alice-Malice de sourire quand les choses se font légères, ici, devenir léger, est un ordre du monde."C’est facile" me dit-elle "laisse-toi vibrer au rythme des prèles; il est si doux aujourd’hui, allonge-toi sur l’herbe picotante, enfourche le nuage".Lorsque les conseils sont par trop mystérieux on obéit sans hésitation.J’ouvris si grand mes oreilles (pour entendre) qu’une mésange s’y nichaTout vibrillonnait : Mon corps se réajustait au mystère qui le happait...Mon hôtesse des lieux, devenait de plus en plus légère, aérienne, transparente, sourire… Elle posa un doigt sur sa bouche : "Je suis ERKEL".Et moi je me laissai devenir, corps mouillé, qui s’enfonçait dans la terre prête à l'ensemencement du jardin. Je m’endormis jusqu’au souvenir. Un souvenir me semblait-il d’avant la naissance; un souvenir de grand sommeil, et, le héler commecelui de Jonas au fond des entrailles du grand poisson.L’expérience passe toujours par un moment d’obscurcissement, d’embrouille de non savoir .ERKEL me tendit la main."Viens, n’aies pas peur, suis le chemin du plantain rose bifurque à l’iris bleu, et arrête-toi à l’ancolie-la mauve- Tu arriveras aux chaussures de tante Marcelline, elles te conduiront à la Dame".Ainsi, fis-je. Nul n’imagine ce que peut un corps à l’écoute. Mes pieds de chair et d’os, ont chaussé leur demeure d’airain magiquement adaptée à mon petit 36… et, sont devenus cœur qui bat. Au rythme de l’envolée, ils devinrent des ailes qui me déposèrent devant la Dame : J’étais devenu un ange.ERKEL riait comme Elizabeth tout à l’heure.La nature conséquente de la nature primordiale : ce qu’il fallait démontrer. Tante Marcelline est la présence persuasive et la dame de Bronze, elle, injecte le dynamisme vers de nouveaux possibles ; il suffit d’accepter l’envol, au gré de la vagabonde angélique.Le jardin d’Elizabeth est "la fabrique aux anges", c’est ERKEL qui décide des passages. Dans le creuset fécondé, se joue l’alchimie profonde, la séparation ultime, jusqu’au plus subtil de l’être.C’est à l’ombre des roseaux, dans son ventre gravide, que la dame à la licorne, toute de bronze vêtue, a germiné,puis embryonné le HAÏKU. Celui -là même qui nous convie à la fête aujourd’hui…C’est la fête du passage-comme toutes les fêtes d’ailleurs- et , comme l’ange est l’oiseau d’Eros, la fête seraérotique-comme toutes les fêtes d’ailleurs.Grande coordinatrice des lieux, corrélatrice, Elizabeth m’a conviée. "il te faudra dit elle, accrocher des mots."- Mais je ne sais pas écrire Elizabeth.- Il te suffira de te souvenir.- J’ai peur, toutes les fêtes me font peur : passer m’angoisse.Cette porte, rosacée comme une cathédrale m’invitait à m’ouvrir, un arc en mandorle, couvant un œuf de lumière, embrasait celui qui passait, plus fortement encore que la dame. La chaleur était douce, et conviait tendrement.Je me baissai très bas.Rires d’ERKEL.Ce n’est pas la peine, regarde comme les linteaux sont larges, aériens, dentelés… En arrivant ici, nous sommes tous si petits, si fragiles que nous n’avons plus nul besoin de nous abaisser.Mon amie me saisit le bras et comme des épousées nous franchîmes le portail."Quelle belle lumière" murmurai-je"Orange-aurora" me répondit-elle et "rose sélosie" pour la chambre 4.J’ai choisi le "vert-bourrache" pour encadrer la porte.- "Mais c’est bleu la bourrache…- Laisse tes certitudes là-bas derrière toi. Es-tu sûre que la bourrache ne soit pas un peu verte aussi ?- Combien de chambres ?- Dix- Dix, comme les plaies d’Egypte, avec la terre promise au bout ? la terre du père…"Dix comme nos vertèbres quand je me tiens bien redressée, dix comme les enfants de Job, enfin récompensé.Le dix est joie, accomplissement, c’est la jouissance de l’ultime rencontre.- Pourquoi ai-je peur ERKEL ?Dis-le moi, aide -moi toi aussi, donne- moi des mots, moi je te donne des images,elles t’appartiennent maintenant, change-les en mots .Donne-moi encore le temps de me promener dans le "jardin" que tu as accroché sur le mur du couloir. C’est tout comme celui d’Elizabeth ! Les perles de mon front étaient-elles de sueur, de rosée ?Me retournant vers la Porte, entrée du temple, j’eus un choc, ce n’était plus une porte. Je la regardais "en creux" comme un négatif - de l’autre coté du miroir - et un arbre m’apparut. Enfin ! l’arbre de vie ! ma vie était inscrite dans tous les vides. J’ai senti que je faisais partie d’un ensemble qui me dépassait infiniment, où je marchais mue par une énergie qui m’était insufflée, je ré-engrangeais des forces pour repartir en orbite sur les terres que mon amie ERKEL avaient rêvées tout au long du couloir "onirique" disait-t-elle…J‘étais devenue là, dans un rapetissement cosmique : aile d’abeille, de libellule. Petite feuille transparente quitremblotait dans un ensemble efflorescent…Le miroir reflétait mon visage en devenir de nuages. ERKEL a posé sur les murs ce dont le corps d’Elizabeth se souvenait.A ce moment elles me demandèrent, ensemble, de choisir la chambre.Oh ! l’ une ou l’autreLe flou a le mérite de m’intéresser, plus que la chose. C’est un espace de rêve de liberté, d’imaginaire……..Entre le 1 et le 10, j’avais le choix. Si je choisis le 1, c’est à cause du "gris Pluton" couleur de la porte.J’ai une bonne relation avec Pluton, ce roi des souterrains séjours. C’est lui qui a forgé les chaussures de Tante Marcelline,et la belle Corne de la Dame.Nous savons qu’il aimait la fête notre Pluton ! N’était-ce pas lui qui fondait et ciselait les coupes destinées à recevoir l’ambroisie?On dit que la vibration de son marteau sur l’enclume réveille l’oreille de l’humain jusqu’aux tréfonds de son être.Au mur de la chambre 1 : "la terre est un ange" les fameux papiers de soie d’Elizabeth. Celui–ci est l’arbre à papillons de la Vallone : Pluton a déjà œuvré de la chair à l’entendement. En terrain connu je me senti soudain audacieuse.- ERKEL, c’est décidé, je vais dans la chambre 10. Le trouverai-je ce mot? pour ne pas décevoir Elizabeth…"Je t’interrogerai et tu m’instruiras" est-il demandé à Job pour passer la porte. On met une vie à s’approprier le sens d’un mot, apprentissage douloureux, mais, quelle joie intense quand on se trouve devant "le" sens. Pétrir la matière mot est la plus fondamentale de nos sculptures. Quel mot secret me délivrera la chambre 10 où Elizabeth a déposé les entrailles de sa terre? Je me suis allongée là pour entendre battre le cœur du monde tranquillement. Afin de mieux voir j’ai fermé les yeux devant le face à face incontournable, je vais à tâtons vers l’impossible réalité, j’agrippe le cocon de saule, cueilli dans les roseaux : mon "Ciel de Lit", puis je me laisse aller au bercement matriciel. Elizabeth l’a tissé, massé, dorloté, câliné. Bientôt je me vautre dans la jouissance de l’extrême fragilité, l’impalpabilité du vivant. Je redeviens germe, j’accepte de ne rien comprendre, l’abandon est doux, l’étreinte a été subtile, totale.Enfin ! je le sais, je le sens : JE SUIS.

 

Danièle Dunogent est sculpteur et poète.Sa recherche touche ce qui concerne les mythes,

la symbolique et à tout ce qui fonde l'essence de notre humanité. C'est sur ce terrain que notre sensibilité se rejoint. Je suis heureuse qu'elle ait accepté de nous transmettre son point de vue d'artiste, de femme et d'écrivain.E.E.D.

 

 

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